Misère du photographe
La photo est prise sans trop de précautions techniques à travers la vitre. Elle laisse voir ce défaut de l’image parfaite, le reflet parasite.
La photo ensuite est exposée, encadrée sous verre. Voici le mannequin sous double vitrage. Isolation.
Le reflet, cette image décalée, floue, pauvre et provisoire, devient le seul indice de l’existence de la vitre. Par le reflet, la matérialité du geste du photographe est inscrite. L’image en devient plus muette et vous en recevez un écho assourdi. Rien ne sort des lèvres du mannequin, rien ne passe à travers la double vitre. La parole deux fois est arrêtée.
Elles regardent sans nous regarder. Elles ne nous voient pas. C’est peut-être que nous sommes transparents. Leur absence de regard désigne notre inexistence. La mort est contagieuse. Paradoxe du photographe : il arrête le temps, fige le mouvement. Toute photographie est un arrête de mort. Dérision de celui qui prétend saisir la vie.
Ici le sujet est déjà arrêté et cette fixité dès lors renvoie au photographe la vérité de son acte.
Photographier les mannequins, c’est regarder en face la mort provoquée.